Et si les pauses au travail vous faisaient gagner du temps ?
“Toutes les deux heures, la pause s’impose” nous disent les campagnes pour la sécurité routière. Et pas que : Caroline Cuny, professeure à GEM (Grenoble Ecole de Management) et docteure en Psychologie Cognitive, revient avec nous sur l’absolue nécessité de prendre des pauses dans son travail. A condition, comme chez les chasseurs, de distinguer « les bonnes » et « les mauvaises ». Entretien.
22 mai 2023 · Temps de lecture : 1 min

« Laisser votre esprit vagabonder est un moyen d'être plus performant »
JT : La pause est souvent associée à du temps perdu, à une productivité en berne. Doit-on la bannir de nos journées de travail ?
CC : C'est un discours que l'on entend souvent effectivement. Les pauses seraient autant de temps de travail perdu et donc d'argent gaspillé pour votre employeur. C'est leur faire un bien mauvais procès. D'abord, sans pause, vous allez vous épuiser et risquer de la fatigue physique et mentale, du stress, des troubles musculo-squelettiques, sans même évoquer le burn-out, qui feront perdre bien davantage de temps et d'argent encore. Mais la pause n'est pas seulement une obligation que vous commande le corps ou le cerveau, laisser vagabonder votre esprit est aussi en réalité un moyen d'être plus performant.
Propice à la mémorisation… et à la créativité
JT : Comment cela ?
CC : Lors des moments d'errance mentale (ce terme cache une réalité beaucoup moins négative qu’il n’en a l’air), si vous avez sans doute l'impression de ne rien faire, ce n'est en revanche absolument pas le cas de votre cerveau ! En réalité, il se met en « pilote automatique » et est en pleine activité. Il en profite pour se régénérer d'abord, sur les plans physiologique, les cellules gliales qui se trouvent autour des neurones nettoient alors ces dernières, et cognitif. C'est le moment où votre cerveau consolide les informations qu'il vient de recevoir, fait le tri, les associe à d'autres idées plus anciennes et ainsi les intègre mieux. Il fait un peu de ménage.
Plusieurs études, dont celle menée avec d'autres chercheurs de la Chaire « Talents de la transformation digitale » de la GEM, l'ont prouvé : faire une pause a des effets bénéfiques sur la mémorisation. Confrontés à une tâche longue et pénible, les participants s'autorisant des moments d'errance mentale y répondent mieux que ceux ne s'accordant aucune pause ou la consacrant à une autre occupation. C'est par ailleurs un moment propice à la pensée divergente, qui peut ensuite enclencher une phase de créativité.
Et puis, laisser son esprit divaguer est aussi un sas de régulation émotionnelle. Le cerveau en profite pour gérer les émotions, fortes ou non, positives ou pas, reçues. Attention, ce n'est pas un temps où l'on prend du recul volontairement, où l'on pèse le pour et le contre. Vous laissez simplement le cerveau aller là où bon lui semble, et la régulation va se faire à l'insu de votre plein gré en quelque sorte.
Bingo, une récompense
JT : Les vertus sont donc nombreuses...
CC : Et il y en a d'autres ! Ces pauses, qui peuvent être simplement quelques instants de décompression, sont un temps pour recharger ses batteries, régénérer ses capacités de concentration bien sûr. Mais au-delà de l'allègement de la charge mentale ou de la régulation des émotions, cela peut-être un moyen d'être plus disponible pour la suite de son planning et donc plus performant. Je viens de finir une tâche, je m'accorde une forme de récompense en jetant un œil par la fenêtre, en ne pensant à rien. En faisant simplement cela, j'échappe aux échéances à tenir, à l'injonction de devoir tout finir pour le soir-même. Et j'aborde la suite dans un tout autre état d'esprit.
Par ailleurs, d'autres auteurs en neurosciences se demandent si cette phase de vagabondage ne relève pas parfois d'une volonté du cerveau de "s'autostimuler". Une réunion m'ennuie ? Mon cerveau s'échappe, change d'air, se met en quête d'un regard neuf pour l'aider à s'intéresser. Malin, donc.
JT : Pour être plus performant dans son travail, vive la pause alors ?
CC : A condition de ne pas s'arrêter pour faire autre chose. Toutes les pauses ne se valent pas : si c'est pour saisir votre téléphone, scroller frénétiquement sur une appli, pour vous distraire ou traiter des mails, ou aller discuter entre collègues autour de la machine à café, alors ce n'est plus de l'errance mentale. Cela a bien sûr d'autres vertus, mais pas celles que je viens d'évoquer. Il ne s'agit pas non plus de procrastination, où vous allez faire autre chose pour ne pas réaliser la tâche pour laquelle vous manquez de motivation ou d'énergie. Répétons-le : le but n'est pas d'occuper votre cerveau, mais bien de lui faire place nette, de lui laisser libre tout l'espace.
“Plutôt que de la subir, pourquoi ne pas décider du moment de la pause ?”
JT : Pouvoir se vider la tête, justement, cela ne se décrète pas. Comment y parvenir ?
CC : Absolument, et notre dépendance aux outils numériques fait peser une menace toujours plus grande sur ces moments de rêvasserie. Difficile d'échapper à la tentation quand le téléphone ou l'ordinateur est à portée de main. Les mettre de côté, c'est un premier impératif. Ensuite, il faut surtout échapper au sentiment de culpabilité. Rappelez-vous combien c'est bénéfique, y compris sur votre productivité. Et si vous n'êtes pas convaincus, faites un test : Essayez tout simplement de bosser longuement, en continu, sans vous arrêter. Que se passe-t-il ? Tôt ou tard, votre cerveau lui-même va se mettre en pause. Idem d'ailleurs face à une tâche trop compliquée ou trop ennuyeuse, ce dernier a besoin de régénérer ses capacités d'attention et vous oblige à décrocher.
Dès lors, plutôt que la subir, ne vaut-il pas mieux la contrôler et décider du moment où la prendre ? Et choisir un temps où je ne mets pas en danger mon activité, où je ne risque pas de décrocher à un moment critique (quand votre boss vous demande votre avis en pleine réunion par exemple) ?
JT : Avez-vous quelques conseils pour garder la main sur ces moments d'errance mentale ?
CC : Planifiez-les. Un peu d'autodiscipline est nécessaire. Par exemple, obligez-vous à regarder au loin par la fenêtre une vingtaine de secondes toutes les vingt minutes. Ou levez la tête de votre ordinateur ou de votre cahier et pensez à ceux qui vous entourent. On peut aussi sortir dehors cinq minutes. D'autres préféreront griffonner machinalement sur un carnet ou colorier un mandala. L'important c'est que le geste soit répétitif et ne demande pas un engagement mental très fort. »

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