Catégorie : Les secteurs

« On a une image du jeu vidéo très masculine mais dans les faits c'est une pratique qui est très mixte »

Contrairement aux idées reçues, les femmes sont nombreuses à jouer aux jeux vidéos et représentent aujourd’hui près de la moitié des joueurs. Pourtant, elles sont encore minoritaires dans l’industrie du gaming. Harmonie Freyburger de Women in Games, une association qui œuvre pour la mixité dans l’industrie du jeu vidéo, répond à nos questions.

25 mai 2022 · Temps de lecture : 1 min

Deux femmes jouant à un jeu vidéo
Ketut Subiyanto via Pexels

Comment évoluer dans l’industrie du gaming en tant que femme, surmonter les obstacles, trouver sa place et s’y sentir bien et s'entourer ? Grâce à l’association Women in Games, les professionnelles du jeu vidéo peuvent trouver des éléments de réponses. Cette association indépendante créée en 2017 compte plus de 2300 membres et mène des actions partout en France pour favoriser la mixité et la parité dans les métiers du jeu vidéo. Harmonie Freyburger, vice-présidente de l'association, a répondu à nos questions. 

L’association Women In Games a été créée en 2017, comment a évolué la parité dans le jeu vidéo ces 5 dernières années ? 

Harmonie Freyburger : Ce que l'on peut dire depuis le début de la création de l’association, c’est que c’est un secteur qui est de plus en plus mixte. On a publié une infographie qui montre une dynamique vraiment positive dans les chiffres. Il y a 5 ans en 2017, on comptait 14,4 % de femmes dans la production de jeux vidéo. Aujourd'hui on est a 22 % : c’est une hausse plus que significative, et qui semble s'inscrire dans une dynamique durable. C’est le résultat de plusieurs choses : des actions menées via l’association mais aussi une prise en compte globale de l’importance de cette mixité dans le secteur. Ce sont des démarches concrètes qui se réalisent sur le long terme car on ne peut pas régler la question de la mixité en quelques années. C’est le cas dans tous les domaines d’ailleurs. Le cœur du manque de mixité dans le jeu vidéo est surtout lié à l’image du secteur. C'est une industrie perçue comme très masculine mais ce n'est pas le cas, dans les faits c'est une pratique très mixte, la moitié des personnes qui jouent sont des femmes. 

Il y a une parité du côté des joueurs mais moins du côté professionnel : 22% des emplois dans les studios sont occupés par des femmes, un nombre qui chute à 6 % dans les filières technologiques et design, comment expliquer cette différence ?

H.F : Les métiers de la programmation sont, de manière générale, moins mixtes. Peu de femmes s'orientent dans l'industrie de la tech. A cela s'ajoute l'aura masculine sur le jeu vidéo, qui achève d'en empêcher certaines de se projeter dans ce secteur, quand bien même elles seraient issues d'écoles d'ingénieurs. Un phénomène d'entonnoir qui fait que sur les métiers techniques, les femmes sont moins présentes. Mais on constate des dynamiques positives :  dans les écoles de jeu vidéo, on a 26% d’étudiantes, déjà plus que les 6% actuellement en poste, on va donc commencer à voir les fruits de toutes ces actions là.  

Quels problèmes posent le manque de mixité et de parité dans une industrie comme celle du jeu vidéo ?

H.F : Cette question de la mixité et globalement de la diversité sous toutes ses formes, va créer soit un cercle vertueux, soit un cercle vicieux pour les contenus des jeux. Si les équipes créatives sont composées de personnes avec le même profil, elles peuvent se concentrer sur la création d’un jeu qui leur ressemble ou créer des personnages féminins ou diversifiés mais pas forcément représentatifs voire même sexualisés. Une équipe créative sans groupes sous-représentés travaille en vase clos.  On dit qu’à partir de 30 % d’une minorité dans une équipe - donc par exemple 30% de femmes, 30% de personnes qui n’ont pas fait de grandes études, 30% de personnes LGBT - cette catégorie de personnes va se sentir plus à l’aise à exprimer son point de vue parce qu’elle sait qu’elle va être soutenue et entendue par les autres. Si on ne compte qu’une seule femme dans une équipe de 10 personnes, il y a fort à parier qu’elle n’osera pas dire ce qui la gêne dans le contenu. 

Quelles initiatives recommandez-vous de mettre en place pour que les femmes se sentent plus à l’aise ? 

H.F : L'association compte 4 piliers d’action : améliorer la visibilité des femmes de l’industrie, sensibiliser les acteurs du secteur à l’intérêt de la mixité, soutenir les femmes de l’industrie avec des formations et du réseautage et communiquer auprès des jeunes filles sur les métiers du jeu vidéo. Chacun correspond à une manière de faire entrer plus de femmes dans l’industrie. Le dernier pilier est une stratégie que peut mener aussi bien les associations que les entreprises. Cela se traduit par aller sensibiliser les étudiantes avant qu’elles ne choisissent leurs orientations professionnelles. Il est nécessaire de leur parler des métiers de la tech et du jeu vidéo, partager la diversité des professions et leur dire qu’elles y sont bienvenues si elles ont envie de s’y projeter. Avec cette notion importante : leur montrer ce qui leur est possible de faire. Il y a une phrase qui est assez connue dans les sujets Diversité & Inclusion : on ne peut pas devenir ce qu’on n'a jamais vu. Donc si on n'a jamais vu de femmes créer des jeux vidéo, on ne va pas forcément se dire je vais pouvoir le faire.

Et au sein même d’une entreprise ? 

H.F : A l’échelle d’une entreprise, le domaine clé est celui de l'inclusion. A savoir, tout ce qui relève de la  prévention et de la lutte contre le harcèlement sexuel ou moral. L'entreprise a la possibilité de créer un environnement sain, sans pratiques toxiques, avec la mise en place d'un cadre réglementé respectant le droit du travail français. Il existe des actions concrètes comme former des personnes chargées de la prévention pour le harcèlement, avoir une égalité de traitement et d’équité dans les rémunérations et les promotions. C'est, de manière globale, s’assurer que les femmes soient traités de manière équitable avec les hommes, qu’elles puissent être soutenues dans un environnement non discriminant. 

Comment l’association accompagne les femmes du jeu vidéo en entreprise ? 

H.F : En soutenant les femmes qui sont dans l'industrie, pour qu'elles y restent, et qu'elles y aient une bonne expérience. Nous proposons des formations, des coachings, du réseautage pour que les femmes se retrouvent entre elles, pour qu’elles se sentent bien, qu’elles puissent échanger et voir qu’elles ne sont pas seules. Quand on travaille dans un petit studio de jeux vidéo avec peu de collègues féminines, bien souvent, on pense qu’on est la seule à rencontrer ces questions ou ces difficultés alors qu’en fait on est bien plus nombreuses que ça. 

On observe de plus en plus de joueuses professionnelles et amatrices alerter sur des situations de harcèlement dans le jeu vidéo, comment les aider ?

H.F : On a créé avec l’association Loisirs Numériques, un guide sur le cyber harcèlement. Il va au-delà du cas des gameuses et s'adresse à tous et à toutes. On y propose du soutien et des mises en contact avec des personnes pour discuter, trouver des parades et relativiser sur ce qui se passe. C’est le rôle des communautés et il en existe plusieurs comme par exemple GameHer, StreamHer, WitchGamez. Mais ce sont des actions en réaction, une fois que le harcèlement à eu lieu. Car la question se joue en amont. Comment éviter que ce harcèlement arrive ? Même si notre cœur de métier est concentré sur la mixité des métiers, nous avons un pôle dédié qui propose du coaching aux gameuses pour qu’elles puissent intégrer des ligues d’équipes mixtes. Plus il y aura de femmes intégrées au sein d'équipes mixtes, plus elles seront visibles et plus ce sera normal d’avoir des femmes qui jouent à des niveaux compétitifs. Une visibilité qui entrainera, je l'espère, moins de harcèlement. Mais c’est quelque chose qui se joue sur le long terme.

Quel est le rôle à jouer pour les acteurs professionnels sur cette question du harcèlement dans le jeu vidéo ? 

H.F : Les studios, les développeurs et les éditeurs du jeu vidéo ont aussi une responsabilité, celle de mettre en place des mécaniques qui empêchent ce genre de harcèlement . De même que Twitch a une responsabilité. Ces sujets sont encore à creuser, il y a des initiatives, il y a des tests qui se font. Mais de ce que je constate, la bonne formule pour éviter ce harcèlement n'a pas encore été trouvée. Il faut dire que, comme tous les jeux sont différents, les interactions sont différentes donc cela se joue quasiment à l’échelle de chaque communauté. Il y a encore un peu de travail pour trouver la bonne méthode et faire en sorte que toutes les joueuses se sentent à l’aise quand elles jouent en ligne. 

Quels sont les prochains challenges de l’industrie du gaming ?

H.F : Ces dernières années, il y a eu un gros travail sur la question de la représentation. Il y a beaucoup plus de jeux avec des personnages féminins ou des personnes noires ou LGBT. Il y a eu un changement sur les histoires que l’on raconte, les personnages que l’on met en scène. C’est une dynamique très positive qui va continuer et les efforts doivent être maintenus car c’est vraiment crucial. Plus il y aura de personnages et d'histoires différentes, plus on va attirer des profils différents qui vont pouvoir se projeter et avoir envie de créer.

Quels sont les futurs projets de l'association Women in Games ? 

H.F : Il y a plusieurs projets dont un de mentoring. Nous allons mettre en place des duos entre une senior et une femme qui vient d’arriver dans l’industrie. Un système de marrainage pour aider à se faire son réseau, connaître les événements auxquels assister. Notre démarche est d'accompagner les femmes fraichement arrivées pour qu'elles aient tout de suite les clés de compréhension et puissent se les approprier. 

Nous travaillons également sur un projet avec les écoles de jeux vidéo. Nous souhaitons les accompagner et les conseiller à avoir plus de mixité et appliquer les bonnes pratiques. Beaucoup de choses se jouent dès les études supérieures. Un projet de charte est en cours pour les encourager à mettre en place des actions clés. Elle fonctionne comme un label qui engage chaque établissement signataire afin d'obtenir de vraies garanties. . 

Enfin, nous continuons notre projet de valorisation des expertes du jeu vidéo. Notre site propose un annuaire de femmes qui travaillent dans l’industrie avec l'envie d'être sollicitées pour valoriser leur expertise métier. Les festivals, les tables rondes ou les conférences métiers donnent souvent la parole aux mêmes personnes, à savoir des hommes, car plus nombreux. Toutefois, beaucoup de journalistes nous disent qu’ils souhaitent parler de game design avec des intervenantes mais ne trouvent que des hommes. Avec cette liste, ils peuvent contacter les expertes directement. Nous mobilisons notre réseau pour avoir un maximum d'événements mixtes car nous souhaitons proposer au public un panel diversifié. 22% de femmes dans le jeu vidéo, cela représente beaucoup mais je pense pas qu’on les voit suffisamment dans ces conférences. Addon est un événement sur le jeu vidéo à Rennes. Cette année, ils ont eu 47% de speakeuses, ce qui montre bien que c’est possible. C’est vers cela qu'on a envie d’aller pour tous les événements, il est possible d'avoir des panels mixtes.