Catégorie : Idées

Est-ce que trouver sa voie est une science ?

Construire un parcours de vie professionnelle qui nous convient, ça n'est ni du hasard, ni de la chance pure. Ça s'apprend et c'est même une science. Interview avec Auguste Dumouilla, chercheur en psychologie de l'orientation.

23 juin 2025 · Temps de lecture : 1 min

Un homme avec des codes informatiques projetés sur le visage
Cottonbro via Pexels

Comment faire les bons choix de vie professionnelle ? C'est la question que tout le monde se pose à un moment ou un autre - ou souvent plusieurs fois dans une vie. Heureusement, c'est un questionnement qui intéresse aussi les scientifiques. Depuis plus d'un siècle, les chercheurs en psychologie de l'orientation étudient et analysent le sujet, imaginent des modèles et développent des expériences pour nous aider à trouver notre voie. C'est le cas d'Auguste Dumouilla, chercheur au sein de l'équipe Recherche et Innovation de JobTeaser.

Tu es docteur et chercheur en psychologie de l’orientation professionnelle, en quoi consiste cette discipline ?

Auguste Dumouilla : Être chercheur en psychologie veut dire que je lis et que j’intègre un maximum de la littérature scientifique ayant attrait de près ou de loin à la psychologie de l’orientation. À partir de cette expertise théorique, je construis ensuite des protocoles afin de répondre à une question à laquelle la recherche n’a pas encore répondu. C’est le cœur du travail du chercheur en psychologie. 

Chez JobTeaser, mon travail au quotidien ne se limite pas uniquement à de la recherche pure. J’ai aussi un rôle dans la création des produits autour de l’orientation, la formation des publics dans l’utilisation de ces produits, la production de contenu vulgarisé, la mise en place de protocoles de recherche ainsi que la construction du pendant de l’accompagnement à l’orientation mais côté recrutement.

Donc, l’orientation est un sujet d’étude scientifique. Mais quelle est sa définition scientifique ? 

A.D. : Le modèle théorique le plus actuel en orientation s’appelle le Life Design. Il est défini comme le fait de « permettre à l’individu de pouvoir prendre conscience de ses caractéristiques personnelles et de les développer afin de choisir ses études et ses activités professionnelles dans toutes les conjonctures de son existence ». En gros, ce qu’il faut retenir dans ce modèle c’est que le dream job est un mythe.

On a souvent l’impression que les problématiques d’orientation sont plutôt récentes. Est-ce que c’est vrai et depuis quand la science s’intéresse-t-elle à l’orientation ?

A.D. : Le pionnier de la recherche en psychologie de l’orientation, c’est Frank Parsons, un praticien et chercheur américain. Et ça remonte aux années 1910. Il a posé les bases des différentes étapes de l’accompagnement vocationnel. Avec notamment ce triptyque qui reste toujours d’actualité : apprendre à se connaître, explorer les possibilités et prendre des décisions 

Le monde a pas mal changé depuis un siècle, comment la psychologie de l’orientation s’adapte-t-elle ? 

A.D. : Dans l’évolution des modèles de l’orientation, on distingue trois grandes étapes qui répondent à chaque fois aux exigences du marché du travail de l’époque. Parsons a commencé par construire un système qui repose sur le matching - c’est-à-dire trouver le bon job pour la bonne personne. Ensuite, on passe à une conception beaucoup plus centrée sur l’éducation mais sans prendre véritablement en compte le contexte. Enfin, aujourd’hui, on est donc dans la phase de Life Design, avec une véritable prise en compte du contexte de vie de l’individu.

Est-ce que c’est plus difficile de trouver sa voie aujourd’hui qu’il y a 50 ans ?

A.D. : Ce qui change par rapport à avant c’est que l’on passe d’un cadre de projection à long terme relativement stable avec des perspectives identifiées à une société remplie d’incertitudes. À l’époque de mes parents ou grands-parents, il n’y avait qu’un choix à faire. Une fois que c’était fait, on avait sa carrière et c’était réglé. Aujourd’hui, on a beaucoup plus de choix stratégiques de carrière à effectuer. Plus fréquemment mais aussi plus rapidement.

Il est donc essentiel d’apprendre à s’orienter. Mais est-ce que l’orientation est une aptitude comme une autre ? Est-ce qu’on peut travailler son orientation comme on bosse les maths ?

A.D. : Oui, c’est possible de progresser sur sa capacité à trouver un travail, une vocation, à se vendre en entretien… tout ce qui sert à construire son parcours de vie. Aujourd'hui, on parle beaucoup des « compétences à s’orienter ». Mais il n’existe pas de consensus sur les dimensions qui entourent ces compétences à s’orienter et de nombreux modèles existent comme le modèle Sovet, par exemple. 

S’orienter se travaille, mais attention à ne pas tomber dans le piège du « quand on veut on peut ». La responsabilité individuelle pour prendre en main son parcours est primordiale, mais ce n’est pas l’unique composante à considérer. En orientation, le rôle du contexte est la clé qui va déterminer la réussite ou non. Il faut vraiment voir ça comme un système dynamique et interconnecté entre l’individu (ses intérêts, sa personnalité, etc), son système social (famille, groupes communautaires, etc) et son système environnemental-sociétal (statut socio-économique, marché de l’emploi, etc). En plus de tout ça, ces trois systèmes sont connectés via la narration des contextes du temps passé, présent et futur.

Est-ce qu’il y a des gens qui sont naturellement plus compétents pour s’orienter professionnellement ?

A.D. : Les compétences à s’orienter résultent d’un apprentissage. Sur un temps t, il peut y avoir des personnes qui sont plus ou moins compétentes les unes par rapport aux autres. Ce qui va jouer c’est le développement ou non de ces compétences mais aussi le sentiment de pouvoir faire face aux enjeux qui se présentent. C’est ce que l’on appelle le sentiment de compétence à l’orientation.

On doit développer nos compétences à s’orienter tout au long de la vie. Mais quand est-ce qu’il faut commencer ?

A.D. : C’est très difficile de se positionner sur cette question, car ça va au-delà de la psychologie de l’orientation. C’est quasiment une question éthique et philosophique. Plus on va être dans une posture de prévention des problèmes, plus on sera armé pour y faire face, c’est évident. Mais éveiller très tôt à la quête de sens et à l’idée de mettre en place toutes les actions qui permettent d’arriver là où on veut, ça peut poser problème si par exemple le système éducatif ne le permet pas - on peut imaginer un cas où un élève sait ce qu’il veut faire, mais que ses notes ne le lui permettent pas.

La société dans laquelle la personne cherche à trouver sa place peut ne pas lui satisfaire, sur la question environnementale notamment… Que doit-on faire dans ce cas ? Encourager la personne à s’adapter au système ou lui donner les moyens pour lutter contre ? Et d’ailleurs, est-ce le rôle de l’école d’aborder ce genre de questionnement ?

Où est-ce qu’on en est en France en matière d’orientation et de compréhension des enjeux actuels ?

A.D. : Il y a beaucoup de représentations négatives de l’orientation. Elles ne me semblent pas justifiées car il y a beaucoup d’acteurs de l’orientation qui travaillent très bien mais qui ne sont pas du tout mis en valeur, comme certains coach non certifiés. Les Psychologues de l’orientation, qu’on appelle les PsyEN, font beaucoup également mais souffrent d’un gros déficit de ressources. Le problème est qu’il y a aussi certains professionnels qui sont parfois sur d’anciens logiciels d’orientation et qui donc vont fonctionner avec l’ancien paradigme de matching qui repose encore sur le mythe du dream job. Aujourd’hui, la quasi-totalité des solutions digitales d’orientation ont pour enjeu premier de trouver le métier qui correspond à l’individu. Sauf que c’est n’est absolument plus l’enjeu actuel de l’orientation. On est encore trop centré sur le résultat au lieu de s’intéresser au processus. 

Aujourd’hui, tu es devenu un pro de l’orientation. Mais comment est-ce que, toi, tu as su t’orienter vers la psychologie de l’orientation ?

A.D. : J’ai commencé avec des études en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives) parce que j’étais vraiment à fond dans le basket-ball. En Master, je me suis spécialisé dans la création de programme d’activité physique pour favoriser la santé des personnes et les sortir de la sédentarité. Et là, par hasard, j’ai découvert un concept fou dont je suis tombé très rapidement amoureux : la sérendipité.

Je me baladais dans une librairie. J’ai cru prendre un livre qui traitait de la sédentarité mais en fait c’était sur la sérendipité - la capacité à trouver ce qu’on ne cherche pas. Ça m'a tellement passionné que j’ai fait une thèse en psychologie dessus. Elle portait sur le bien-être et l’employabilité de jeunes chercheurs d’emplois et donc, naturellement, je me suis retrouvé à travailler sur l’orientation professionnelle.

Justement, quel est le rôle de la sérendipité dans l’orientation ? Et comment peut-on l’apprivoiser ?

A.D. : Que ce soit à l’échelle individuelle ou à l’échelle collective, les événements inattendus font partie du parcours d’orientation. Et sont donc des variables à considérer. On peut stimuler et développer nos compétences pour mieux gérer ces événements inattendus. J’ai surtout travaillé sur le modèle de la happenstance learning theory qui considère qu’il y a cinq compétences essentielles à développer : la persévérance, l’optimisme, l’ouverture, la flexibilité et la prise de risques. Ces cinq sous-compétences font qu’on va être en capacité de mieux gérer l’inattendu. Elles permettent même de ne pas simplement être spectateur des éléments inattendus mais carrément de les générer. C’est un peu l’idée de « provoquer son destin ». Tous ces éléments vont être catalysés par la capacité exploratoire de la personne.

Explorer est nécessaire, mais est-ce qu’on n’est pas en train de tomber dans une injonction à se réorienter en permanence, à toujours faire des nouveaux choix ?

A.D. : C’est le revers de la médaille du changement de paradigme entre le matching et le life design. Dans les sciences de l’orientation, une grande partie est consacrée au fait de bien se connaître. Et là, on voit que c’est particulièrement pertinent. C’est possible d’avoir besoin d’un environnement stable et sans changement pour pouvoir s’épanouir. Dans ce cas là, ça ne sert à rien d’essayer de changer de voie ou d’entreprise constamment. En fait, il ne s’agit pas seulement de bien se connaître pour trouver son job, mais aussi pour savoir si on a envie de le garder, et pourquoi.