Comment lutter contre les inégalités salariales entre hommes et femmes ?
Spoiler alert : ça demande pas mal de changements, d'ajustement et de prises de conscience. Et des mesures comme la transparence des salaires peuvent aider. Explication avec Mark Smith, professeur de management spécialisé sur les questions d'inégalités.
25 novembre 2021 · Temps de lecture : 1 min

En France, le mois de novembre est aussi celui des inégalités salariales entre hommes et femmes. Comme chaque année depuis 2015, Rebecca Amsellem, économiste et fondatrice des Glorieuses, lance une campagne pour sensibiliser aux écarts de salaires entre femmes et hommes. En 2021, la campagne #3Novembre9h22 nous rappelle que les choses ne vont pas dans le bon sens et qu’avec un écart de salaire de 16,5% entre hommes et femmes, ces dernières travaillent désormais « gratuitement » jusqu’à la fin de l’année.
Ces faits et ces chiffres, Mark Smith les connaît bien. Ancien directeur de l’école doctorale puis doyen de la faculté de Grenoble École de Management, il a dirigé un projet européen sur l’impact social et économique des mesures visant à la transparence des salaires comme moyen de combler le fossé entre les sexes. Désormais, Directeur de la Business School de l'Université de Stellenbosch en Afrique du Sud, il a répondu à toutes nos questions sur la transparence des salaires et son utilité pour combler les écarts de rémunération.
L’égalité salariale est déjà une obligation légale, alors pourquoi ces chiffres ?
Mark Smith : Effectivement, même avec les obligations légales - depuis 1975 dans l’Union Européenne, et depuis plus longtemps en France - l’écart salarial entre les hommes et les femmes persiste. Ça s’explique principalement par le fait que les inégalités salariales sont liées à des processus culturels et sociétaux qui mènent les hommes et les femmes à faire des choix différents. Or, faire des choix n’est pas illégal et ne peut pas être réglementé.
Dans vos travaux vous parlez de « ségrégation verticale » et de « ségrégation horizontale » pour expliquer les écarts salariaux entre hommes et femmes. De quoi s’agit-il ?
Mark Smith : La ségrégation verticale est le fait que les hommes montent plus vite en grade dans les entreprises. Soit parce que les femmes sont moins considérées pour les postes de management à cause de biais inconscient. Par exemple, l’idée qu’un manager doit répondre à certaines caractéristiques qu’on retrouve généralement chez les hommes. Soit parce que les hommes ont des parcours professionnels plus linéaires. Ils travaillent toute leur vie alors que les femmes ont plus tendance à prendre des congés pour s’occuper des enfants, pour des raisons sociétales. Il existe ce qu’on appelle le « mommy track » qui repose sur le stéréotype qu’une mère qui travaille n’est pas intéressée par sa carrière et son avancement professionnel.
La ségrégation horizontale concerne le fait que les hommes et les femmes ne travaillent pas dans les mêmes secteurs ni aux mêmes postes. Et c’est un choix qui se fait dès l’école. Par exemple, en école d’ingénieur, on observe toujours une sur-représentation d’étudiants par rapport aux étudiantes. Dans les écoles de commerce, la parité est meilleure. Mais dès qu’on regarde par spécialités, on voit les mêmes déséquilibres. Par exemple, les modules RH sont beaucoup plus suivis par les femmes que par les hommes. Alors qu’en finance, c’est l’inverse. Ce n’est pas une question d’intérêt mais de processus de socialisation intégrés qui poussent les femmes à choisir des carrières ou des métiers qui sont jugés plus compatibles avec une vie de famille. Or, ces décisions prises dès la formation ont des conséquences à long terme sur les inégalités salariales.
Dans un article sur les inégalités salariales entre homme et femme en Europe, vous pointiez du doigt « la décentralisation des système de rémunération ». Qu’est-ce que c’est et pourquoi ?
M. S : La centralisation des salaires fait référence à un système où les rémunérations étaient fixées par accord collectif au niveau national. Depuis, nous sommes passés à un système décentralisé. Donc le choix revient à l’entreprise et aux managers. Ça donne beaucoup plus d’agilité aux entreprises mais comme ça pourrait être plus opaque, ça permet de créer des inégalités salariales. Une solution est donc de remettre de la transparence dans l’entreprise pour contrer les impacts négatifs de la décentralisation tout en en conservant les bons.
Justement, l’Union Européenne a proposé un plan pour la transparence des salaires. Comment cette mesure peut-elle aider dans la réduction des inégalités genrées ?
M. S. : Cette proposition de l’Union Européenne impose aux entreprises de plus de 250 salariés d’effectuer un reporting des écarts salariaux et d’être transparent sur ces données. Lors d’un recrutement, les candidats pourraient donc demander à avoir ces données. De plus, si l’écart est supérieur à 5%, l’entreprise est contrainte à l’action pour réduire les écarts salariaux. C’est le premier impact d’une telle mesure.
Ensuite, la transparence des salaires permet de mettre en lumière les écarts salariaux. Et ça peut être un peu embarrassant. Donc ça force à réagir. Le fait de savoir qu’à la fin de l’année, un rapport sur les écarts de rémunération est publié peut permettre aux managers d’avoir de réflexion sur ces décisions et de se poser les bonnes questions.
En France, on a déjà introduit l’index d’égalité professionnelle. Quel regard portez-vous sur cette mesure de transparence ? Est-ce qu’il n’y a pas le risque de créer un seuil « d’acceptabilité des inégalités » ?
M. S. : L’index d’égalité professionnelle est également une bonne chose pour encourager l’action et permettre aux managers d’avoir les données pour réagir. Mais le seuil de cet index est trop bas. Ce n’est pas comme à l’école où avoir une note de 80/100, c’est génial. Quand on parle d’inégalités genrées, une note de 80/100 ça veut dire qu’on a une grosse marge de progression. Le vrai problème, c’est que les inégalités salariales entre hommes et femmes sont aussi liées à des phénomènes culturels.
Plus que la création d’un seuil d’acceptabilité, l’effet pervers d’une telle mesure est que certaines entreprises peuvent mettre en place des actions uniquement pour avoir un bon score. Comme un étudiant qui travaillerait uniquement pour l’examen, ce qui est différent de travailler pour apprendre. Or, si on veut vraiment changer les choses, ça requiert des modifications culturelles plus profondes et qui prennent du temps à se voir dans les indicateurs. L’index ne suffit pas. C’est un outil mais ça ne fait pas tout le travail.
Vous insistez sur le rôle des managers. Est-ce que c’est parce que la question des inégalités salariales se joue au moment de la négociation salariale ?
M. S. : Oui, tout à fait. Lorsque j’étais enseignant à Grenoble École de Management, j’expliquais à mes étudiants qu’au moment où ils quitteraient l’école, ils auraient déjà un écart salarial en tête selon leur genre. Un écart de l’ordre de 2 000€. Alors forcément, les jeunes diplômés ne vont pas négocier de la même façon et sur la même base selon leur genre. Il faut que les étudiantes en soient conscientes pour pouvoir mieux négocier. Mais pour que les choses évoluent dans le bon sens, il faut que les deux parties de la négociation soient conscientes. Les managers doivent bien avoir en tête les biais inconscient auxquels ils sont soumis. Donc effectivement, il se joue quelque chose de crucial au moment de la négociation.
Quel est le rôle des grandes écoles, notamment de management, dans la réduction des inégalités salariales ?
M. S. : Puisque les managers ont un rôle important à jouer, les écoles dans lesquelles ils sont formés aussi. Dans celles où j’ai enseigné, on essaie d’éviter de faire des cours spécifiques sur « l’égalité homme-femme » ou « la diversité ». L’objectif est que ça ne soit pas des sujets qui sont présentés seulement aux personnes déjà intéressées. Au contraire, on essaie d’intégrer ces problématiques dans le tronc commun et dans des modules de cours obligatoires pour toucher tous les étudiants. Car si tous les diplômés d’une école sont conscients des inégalités et du rôle que les managers peuvent avoir dedans, lorsqu’ils seront en position de prendre des décisions on peut espérer qu’ils auront le réflexe de se poser les bonnes questions.
Au-delà du fait de former et sensibiliser les étudiants à ces sujets, les écoles ont le rôle de transformer les futurs managers en vrais ambassadeurs de l’égalité. Si tous les diplômés sortent de leur cursus avec l’envie de promouvoir l’égalité et de sensibiliser leurs futurs collègues, les grandes écoles deviennent une force immense pour réduire ces inégalités.
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