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Catégorie : Portraits

« Avec une prise de parole de 10 secondes, vous pouvez inverser une situation »

Dans ce nouvel épisode de Genesis, Nabil Boudi, avocat au barreau de Paris, raconte comment son parcours l’a aidé à gérer le stress et la prise de parole en public.

2 août 2022 · Temps de lecture : 1 min

Je m’appelle Boudi, j’ai 35 ans et je suis avocat au barreau de Paris. 

Je n’étais pas du tout destiné à faire des études supérieures. Après la première année de lycée, je me suis retrouvé sans scolarité pendant 6 ans jusqu’à mes 22 ans. Pendant ces années, j’occupais mes journées à jouer à FIFA sur la Playstation. 

A 21 ans, je pars en Angleterre pour un voyage d’une semaine. J’y suis resté finalement un an. J’ai quitté mon quartier et ma zone de confort. Je voyais les jeunes sur place avec une motivation sans faille, ils avaient la niaque et c’est ça que je suis allé chercher là-bas. Et au bout d’un an, alors que j’avais plein d’opportunités, je suis rentré en France. J’avais le sentiment que j’avais des choses à rattraper. 

Sans le dire à personne, je passe le DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires). J’arrive à l’obtenir avec une note de 10 tout pile. Je m'inscris ensuite à l’université pour apprendre le droit. Et dès les premiers cours, ça prend tout de suite. Au fond de moi, dès la deuxième année, je savais que j’allais devenir avocat. En 2016, je reçois le CAPA, le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat. J’ai travaillé pendant 3 ans dans un cabinet avant de m’installer à mon compte il y a maintenant 2 ans. 

Pendant les études à la fac, la prise de paroles à l'oral, ça allait. Mais quand je suis entré dans la profession, c'était un carnage. Lors de mes premières audiences, je rigolais car en fait j’étais très stressé. Je parlais aussi très calmement, de peur de dire des bêtises. Je ne terminais pas mes phrases parce que j’avais peur qu’on me tape sur les doigts. Et ça m’a desservi. 

J’ai finalement compris qu’il fallait être dans la posture. On peut être stressé mais il ne faut pas le montrer. Alors au bout d’un an, j’allais en audience remonté à bloc. Toute la frustration de ma jeunesse, je la déploie dans une salle d’audience. Habituellement, tu restes derrière ton pupitre, moi je collais quasiment ma tête à celles des magistrats. 

Un des conseils que je donne : il faut être soi-même. N’essayez pas de ressembler à un tel, ça sonne faux. On perd en tout, on perd en émotions. J’ai fait le contraire à mes débuts, j’essayais de ressembler à Pierre Paul Jacques. Sauf que je n’ai pas une tête de  Pierre Paul Jacques. 

La prise de parole, c’est quelque chose que j’ai développé dans les quartiers car c’est un environnement où il y a beaucoup la culture du clash. Cette culture là, je l’ai conservée ce qui me permet d’être beaucoup plus à l’aise à l’oral. L’aisance dans la prise de parole nécessite aussi une forte capacité de réactivité, il ne faut pas être déstabilisé par son interlocuteur. Si on est pris par un coup de panique, une bouffée de stress au moment de la prise de parole, il ne faut pas hésiter à mettre en place un artifice pour essayer de faire retomber la pression. Ça peut être de l’humour ou par exemple essayer de détourner la conversation. 

En 2021, j’ai eu un déclic. C’était au mois de février, il y avait un procès d’assises à Paris dans lequel je défends un des accusés. J’avais une grosse pression car mon client encourait l’une des plus grosses peines. J’arrive au procès, je m’avance devant le pupitre avec mes notes et j’ai le souffle coupé. Impossible de parler. Je me décale, je fais un travail de respiration et puis je reprends la parole. Je dis à l’audience : « j’aimerais vous parler de l’album du Micro d’argent d’IAM » sorti en 1997. La salle éclate de rire et tout le monde se moque de moi. Et là, je savais que j’avais réussi mon coup parce que j’avais évacué la pression. Ce jour-là, j’ai fait la plaidoirie de ma vie et le client a été acquitté. 

Quel regard je porte sur ma carrière ? Un regard modeste. Je n’ai pas le sentiment d’avoir déplacé les montagnes mais je suis content de l’avocat que je suis devenu. Je suis l’avocat que je voulais être.