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Catégorie : Portraits

“Je suis convaincu qu’il n’y a pas de bon moment pour partir à l’aventure, ce qui compte, c’est de se lancer, c’est de partir”

À 18 ans, Matthieu Tordeur traverse une partie de l’Europe à vélo, à 20 ans il fait le tour du monde en 4L pour rencontrer les 150 micro-entrepreneurs qu’il soutient avec un ami. Et à 26 ans, il clôture la traversée de l'Antarctique en solitaire et sans ravitaillement en 51 jours. Aventurier, conférencier et membre de la société des explorateurs français, découvrez comment Matthieu rend accessible la science grâce à l’aventure.

Temps de lecture : 1 min

Matthieu Tordeur, on naît aventurier ou on le devient ?

Matthieu Tordeur : “Depuis que je suis tout jeune, je suis passionné par le monde de l’aventure et du voyage. J’ai été bercé par les aventures de Tintin. J’ai été scout pendant 10 ans, c’est ça qui m’a mis un peu le pied à l'étrier pour apprendre à monter des petits projets, apprendre à se débrouiller par soi-même ou en équipe. J’ai pu accumuler de l’expérience dans ma jeunesse et c’est ce qui m’a donné le goût de l’aventure.”

Quel a été ton parcours scolaire avant d’explorer le monde ?

M.T : “Après avoir passé mon bac en Normandie, j’ai commencé une année de droit au Havre, mais ça ne me plaisait pas. Je me suis alors expatrié en Angleterre à Londres, où là-bas, j’ai suivi un cursus de sciences politiques dans une fac qui s'appelle Kings Collège. J’y ai passé 4 années fabuleuses, avec des étudiants qui venaient de toute la planète, dans un univers anglo-saxon qui m’a toujours attiré.”

Comment t’es tu dirigé vers l’exploration ?

M.T : “Quand j’étais étudiant à Londres, je me suis rapproché d’une société qui s'appelle la Royal Geographical Society, dans laquelle plusieurs explorateurs viennent rendre compte de leurs expéditions depuis des centaines d’années. 

C’est comme ça que j’ai rencontré pas mal de gens qui font ce métier.

Cette société concentrait énormément de profils et de personnalités qui me fascinaient, comme des aventuriers, des reporters, des photographes, des scientifiques ou encore même des sportifs.

Ça a été pour moi une sorte de port d’attache que je n’avais jamais connu auparavant. J’ai touché du doigt un milieu et un univers que je ne connaissais pas. C’est vraiment en rencontrant ces gens-là que l’idée de devenir aventurier a commencé à germer.”

Quel a été le déclic pour en faire ton métier ?

M.T : “Quand j’étais étudiant, je travaillais en parallèle comme serveur et avec ce que je gagnais, j’auto-finançais mes expéditions pendant mes 4 mois de vacances en été.

Donc tous les étés, je vivais une nouvelle expérience sur le temps que j’avais de libre. Au bout d’un moment, j’étais un peu frustré à l’idée de me dire que mes aventures et mes grandes ballades ne pouvaient se faire que sur ce temps là.

J’ai donc choisi de mettre mes études entre parenthèses pendant un an avec mon meilleur ami, pour lancer un projet de tour du monde en 4 L.

Ce projet avec mon pote d’enfance a été bouleversant et décisif dans ma manière d'envisager mon projet professionnel. C’est justement au retour de ce tour du monde que je me suis dit que j'allais faire de ces aventures un métier.”

C’est quoi le plan de carrière pour un explorateur ?


M.T : “Alors moi, je n’ai pas de plan de carrière. Je me sens assez proche du parcours ou du quotidien d’un artiste par exemple, même si je n’en suis pas un. Dans la mesure où un artiste est animé par une passion, un talent, avec des envies de créer, d’aller de projet en projet, d’inspiration en inspiration, sans savoir de quoi sera fait sa journée de demain ou le mois suivant. Ce qui compte, c’est de mener des projets de bout en bout.”

Qui dit aventure, dit saut dans l’inconnu. Comment tu abordes l’inconnu ?

M.T : “L’inconnu fait peur et c’est une bonne chose, je trouve. C’est hyper enrichissant de partir vers quelque chose qu’on ne connaît pas. Ça permet justement de se dévoiler, de découvrir des nouvelles facettes de notre personnalité, de mieux se connaître. L’inconnu, c’est le propre de l’aventure. On a beau se préparer et avoir pensé à tout pour une exploration, mais au final il y a toujours des choses qui adviennent, des imprévus qu'on n'aura pas imaginé. Le plus important, c’est la manière dont on va se sortir de ces situations, ou de la manière dont on va trouver des solutions. L’inconnu fait peur, certes, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut lui tourner le dos. C’est dans ces moments-là qu’on ressort grandi.”

À 26 ans, fin de tes études, comment prends-tu la décision de mener ta plus grande expédition en Antarctique ?

M.T : “Cette aventure, je l’ai vécue pour deux raisons. La première, c’est que j’étais fasciné par l'Antarctique. Ce continent représentait pour moi la dernière frontière sur Terre, un continent qui recèle encore aujourd'hui pas mal de mystères. J’avais envie de sortir des récits pour vivre ma propre aventure.

La deuxième motivation, c’est que je voulais faire l’expérience de la solitude sur une longue durée. Je venais d’avoir 26 ans et de finir mes études supérieures. C’est un peu un moment charnière dans sa vie pendant lequel on se pose beaucoup de questions. On se retrouve un peu face au grand vide. Doit-on s’engager dans ce CDI qui nous fait briller les yeux ? Devrait-on plutôt faire un stage ou alors au contraire prendre du temps pour soi ? Moi, j’ai trouvé que c’était le moment parfait pour faire un pas de côté et prendre le temps de me retrouver avec moi-même. Chose qui n’arrive pratiquement jamais quand on y pense.”

Qu’as tu appris en te retrouvant seul au bout du monde ?

M.T : “J’ai beaucoup appris sur la solitude. En général, on l’a fuit cette solitude. Moi j’ai trouvé que ça pouvait être intéressant de l’explorer. Que ce serait forcément une source d’approfondissement personnel, mais aussi d’enrichissement.

Je me suis donc rendu compte que s'extraire du monde, laisser tout ce qu’on a derrière soi, et bien ça ressert en fait énormément les liens avec son entourage.”


Comment fait-on pour ne pas perdre la tête quand on est seul au milieu de l'Antarctique ?

M.T : “Il faut s’organiser et c’est justement une autre leçon que j’ai tirée de cette expédition. L’Antarctique, c’est le plus grand désert du monde et c’est un univers très stérile, glacial, dans lequel il y très peu de couleurs, très peu d’odeurs. Il fait jour tout le temps, c’est très monotone, c’est blanc partout, les animaux ne sont que sur la côte du continent. On est vraiment seul avec soi-même et cette immensité blanche. Alors pour ne pas perdre la tête, il faut s'organiser, être très très précis, organiser ses journées de manière très routinière, très militaire avec une sorte de mécanique très huilée, très orchestrée, très organisée qui me permettait d’avancer.”

Quel a été le moment le plus difficile ?

M.T : “Au début de mon expédition, quand je grimpais sur la calotte polaire antarctique, j’ai pris la mauvaise décision d’enlever mes skis pour avancer plus facilement en montée. Sauf qu’avec mon traîneau que je tirais et qui pesait 115 kilos, je n’arrivais plus à agripper et à traverser la neige et donc je tirais vers le bas. Mon pied ne reposait sur plus rien de solide. J’ai finalement pu m'allonger, ramper vers mon traîneau et remettre mes skis. Mais ça aurait pu très mal finir.”

Comment gérer le stress dans ce genre de situation ?

M.T : “Je ne sais pas si c’est dans ma personnalité, mais dans les moments durs, je me convaincs d’une chose, c’est que ça ne va pas durer, autant le prendre avec le plus de détachement et d’optimisme possible. S’acharner ça ne va pas faire avancer les choses et ça ne va ramener que des énergies négatives.

Il faut aussi prendre les choses telles qu'elles viennent. Je crois aussi qu’on perd beaucoup de force à toujours imaginer la fin, à vouloir toujours anticiper les choses. Il faut vraiment se focus sur ce qui est devant soi, ce qui est facilement atteignable. Cela permet de concentrer son esprit sur le court terme, avancer à petits pas, plutôt que de se projeter sur la fin d’une aventure ou l’atteinte d’un objectif. 

On gagne en efficacité et en sérénité. Pleins de petits pas, pleins de petits objectifs, c’est autant de petites victoires.”

Qu'as-tu ressenti à ton arrivée au pôle ?


M.T : “Un mix d’émotion, à la fois énormément de soulagement, d'excitation et de satisfaction d'arriver au bout de l'expédition. Mais il y avait aussi déjà une pointe de nostalgie, en me demandant qu’est ce qui allait maintenant m'animer et me donner envie de me lever tous les matins. Cette aventure avait quand même régi toute ma vie pendant 3 ans avant le départ.”

Quel rôle ou quel impact écologique ton métier peut-il apporter ?

M.T : “Maintenant que je suis un peu plus installé dans ce milieu qui est l'aventure, j’ai envie que mes projets soient porteurs d’une vraie cause.

Je remarque que l'aventure permet de faire le lien entre les scientifiques qui alertent et le grand public. Je me donne de plus en plus ce rôle de faire de la vulgarisation de la science par l'aventure. J’aime bien cette idée d’être le témoin, le passeur de relais entre les scientifiques et le grand public.

Je vois un peu l’avenir comme ça, de continuer de parler de ces sujets, d'être l'interlocuteur, le porte-voix pour essayer de trouver des solutions communes pour avancer dans la bonne direction. D’ailleurs, mes futurs projets vont dans ce sens."

 

Akram B.