Comment recruter des ingénieurs malgré la pénurie de talents ? L’interview de Philippe Rouch
- mercredi 7 mai 2025
- Michaël Giaj
Face à la pénurie d’ingénieurs, Philippe Rouch (ENSAM) nous livre son analyse et ses conseils pour recruter efficacement les jeunes diplômés en quête de sens et d’impact.

20 000. C’est le nombre de jeunes ingénieurs qui font défaut aux employeurs français chaque année. La pénurie de jeunes talents est en effet largement établie dans l’Hexagone et de nombreux employeurs peinent à recruter ces profils très recherchés.
Nous avons échangé avec Philippe Rouch, Directeur des Relations Entreprises de l’ENSAM (École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers). Il nous partage son analyse face à une tension toujours plus forte sur le marché du recrutement des ingénieurs, et ses conseils pour renforcer l’attractivité des employeurs.
Partagez-vous le constat de la pénurie de jeunes ingénieurs ? Quelles en sont les causes ?
Philippe Rouch : Tout à fait. Nous l’observons même systématiquement, car à chaque échange avec un mécène ou un industriel, nous posons la question et tous sont unanimes : il est difficile de recruter autant d’ingénieurs qu’ils le souhaiteraient. Certains grands groupes avec lesquels j’échange m’annoncent jusqu’à 1 000 embauches d’ingénieurs prévues chaque année !
Aujourd’hui, il me semble que cette situation est liée à de forts enjeux à la fois de réindustrialisation, mais aussi de décarbonisation.
De nombreux industriels sont à « marche forcée » sur certains programmes et le contexte géopolitique les contraint à accélérer leur production. On le voit par exemple dans le secteur du nucléaire, ou encore celui de l’armement : en 2024, le nombre de rafales produits par Dassault Aviation a quasiment doublé.
Outre la demande très forte en termes de capacité de production, c’est aussi le besoin d’une approche disruptive et innovante qui se fait sentir : les industriels ont besoin d’inventer de nouvelles solutions, moins polluantes, moins gourmandes en énergie, plus efficaces, capables de se repositionner face à une concurrence forte venant des pays asiatiques… Bref - il faut repartir d’une page blanche et pour cela, il faut de jeunes ingénieurs et un regard neuf.
Quels sont les métiers et les entreprises qui font rêver les jeunes ingénieurs actuellement ?
Philippe Rouch : on a tendance à dire que les jeunes diplômés veulent travailler pour des petites structures agiles ou des métiers liés à l’environnement. Étonnement, j’observe plutôt un engouement pour les grands groupes historiques du secteur de l’aéronautique !
Mon interprétation personnelle de cet attrait, c’est l’envie des jeunes ingénieurs d’être impliqués dans des projets ambitieux, à grande échelle, d’avoir un fort impact et de potentiellement être exposés à des technologies de rupture. Évoluer dans une grande entreprise, c’est accéder à de nombreuses opportunités de carrière mais aussi à des ressources non négligeables.
Pourtant, l’ENSAM dispose d’un incubateur et d’une formation à l’entrepreneuriat. L’appétence n’est cependant pas à la hauteur de que ce que l’on pourrait espérer. J’identifie plusieurs facteurs potentiels :
- un doute sur les capacités réelles et les ressources des startups, qui doivent composer avec des fonds limités pour créer des innovations de rupture du point de vue ingénierie ;
- des déceptions vécues par les générations précédentes, qui ont intégré des startups leur ayant fait miroiter beaucoup de choses. Après quelques déconvenues, nous avons observé de nombreux candidats se réorienter vers les industriels ;
- la méfiance vis-à-vis du greenwashing, suite à des ingénieurs s’étant orientés vers des métiers liés à l’environnement et ayant eux aussi connu des déceptions ou découvert l’envers du décor.
Quoi qu’il en soit, je pense que le niveau d’ambition de l’entreprise et le champ des possibles qu’elle offre à ses jeunes ingénieurs sont des facteurs très importants dans le choix de leur employeur.
Quels sont les secrets des entreprises qui séduisent les étudiants et jeunes diplômés ingénieurs ?
Philippe Rouch : il n’y a pas de secret : la mission de l’entreprise, le sens qu’elle donne à ses activités et les ressources associées sont fondamentaux. C’est très bien de dire qu’on va décarbonner et révolutionner un secteur, mais il faut aussi s’en donner les moyens et mettre en place des actions concrètes.
Quelles sont les valeurs de l’entreprise ? Pour quoi s’engage-t-elle ? Ce sont ces grandes questions que se posent les jeunes ingénieurs !
Ensuite, certains leviers plus pragmatiques peuvent distinguer plusieurs entreprises en concurrence :
- La QVT (Qualité de Vie au Travail) : la culture d’entreprise doit être claire, transparente et surtout cohérente. Il faut que les jeunes s’y sentent bien et s’y identifient ;
- L’approche managériale orientée terrain : certains jeunes ingénieurs ne comprennent pas pourquoi des profils manageriaux qui n’ont pas leur niveau d’expertise fonctionnelle et technique les dirigent, car parfois, la déconnexion entre managers et réalité terrain donne lieu à des objectifs parfois trop ambitieux. Le management doit avoir une idée concrète de la tâche et de sa difficulté, de la réalité des ingénieurs ;
- L’équité salariale : de nombreux ingénieurs peinent parfois à comprendre pourquoi certains employeurs pinaillent sur quelques dizaines d’euros dans la négociation salariale des jeunes talents, alors que les grands patrons croulent sous les stock options. Cela concerne en particulier les entreprises du CAC 40, qui pourraient gagner à réfléchir sur la redistribution salariale et les écarts entre juniors et seniors ;
- Le coût de la vie : le prix du logement a explosé ces dernières années dans les grandes villes, l’accès à la mobilité peut être restreignant (surtout si les ingénieurs doivent se déplacer sur des sites), la garde des enfants peut s’avérer complexe. Il est important que les grands groupes prennent en compte ces enjeux
Quel conseil donneriez-vous aux recruteurs pour surmonter la pénurie d’ingénieurs ?
Philippe Rouch : il est crucial de reconstruire des ponts avec les jeunes ingénieurs avant même qu’ils ne soient diplômés. Les entreprises qui l’ont compris n’attendent pas que les talents sortent de leurs études et commencent leur recherche pour prendre contact.
Soutenir des programmes de R&D (Recherche et Développement), construire des chaires spécialisées avec les écoles d’ingénieurs - il est essentiel d’encourager plus de mixité entre industriels et Écoles d’ingénieurs. Une telle synergie entre les RH de la R&D est un véritable atout pour les entreprises.
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