Catégorie : Idées

Rémunération, reconnaissance, stabilité, qu’attendent vraiment les jeunes de l’entreprise ?

Laissez de côté les baby-foot et le bonheur au travail, la jeune génération veut remettre le travail, le vrai, au coeur de l’entreprise.

31 janvier 2022 · Temps de lecture : 1 min

Un homme au milieu de miroirs
Carlos de Toro via Unsplash

Depuis 2017, Jérémie Peltier est directeur des études de la Fondation Jean Jaurès d’où il observe les mutations et les aspirations de notre société. Après avoir publié La fête est finie ? (Éditions de l'Observatoire) en octobre 2021 dans lequel il s’attaquait à notre société de l’individualisme, il revient avec nous sur le rapport qu’entretiennent les 18-24 ans au monde du travail et plus particulièrement à l’entreprise. En s’appuyant sur l’étude BVA pour la Fondation Jean Jaurès et la MACIF « Les jeunes et l’entreprise », il nous livre son analyse d’une génération plus pragmatique que pessimiste.

On parle beaucoup de la quête de sens au travail mais d’après votre étude c’est une bonne rémunération qui est en tête des attentes des 18-24 ans. Comment l’expliquez-vous ?

Jérémie Peltier : Au cours des dernières années, on a beaucoup insisté sur l’idée de quête de sens au travail. On en était presque à dire que les jeunes étaient au-dessus des questions financières en affirmant qu’ils cherchaient un travail qui leur permettait de donner un sens à leur vie, de se sentir utile à la société et de s’accomplir. C’est vrai, mais à force d’avoir mis ces grands concepts philosophiques sur le devant de la scène, on a arrêté de parler d’argent et de précarité financière. Alors que ça reste l’élément central pour se sentir en sécurité. 

La crise a-t-elle aussi joué un rôle dans cette nouvelle préoccupation ?

J. P. : Oui, la crise du Covid a fait vieillir les jeunes beaucoup plus rapidement. On leur a pris deux ans de leur jeunesse. Ils sont devenus plus soucieux - du jour au lendemain. Ils ont dû devenir responsables vis-à-vis de leurs parents, de leurs grands-parents. C’est une génération un peu moins idéaliste, un peu moins insouciante. Ce qui se traduit par des souhaits très pragmatiques, à commencer par la rémunération.

On parle effectivement d’une génération Covid ou sacrifiée. Mais on sait que « les jeunes » n’est pas une catégorie uniforme. Sur quelles lignes s’observent les plus grosses différences ? 

J. P. : Au sein de la tranche des 18-24 ans, on observe effectivement des différences sur plusieurs critères. Il y a des différences territoriales assez fortes. Par exemple, le souhait de travailler à l’étranger est exprimé par 16% des jeunes mais monte à 23% chez ceux de l’agglomération parisienne. À l’inverse, 28% des jeunes veulent rester dans la même entreprise mais ils sont 34% parmi les habitants de villes moyennes.

On observe aussi des différences socio-culturelles liées au niveau d’étude notamment sur ce que doit être une entreprise engagée. Et enfin, il y a une différence entre les tranches d’âge : les 18-20 ans d’un côté et les 21-24 ans. Dans la tranche plus âgée, on trouve un souhait plus important de rester dans la même entreprise plusieurs années de suite. C’est normal, puisque c’est cette partie de la jeunesse qui s’est sentie la plus angoissée par la crise. Il y a donc une demande de sérénité par rapport à l’avenir, à commencer par la sécurité financière.

Justement, la stabilité est un concept qui ressort beaucoup dans l’étude. Est-ce simplement lié au contexte économique ou faut-il y voir des explications plus profondes ?

J.P. : Il y a effectivement le contexte économique qui rentre en jeu mais pas que. Au-delà du monde de l’entreprise, les 18-24 ans font partie d’une génération éco-anxieuse. C’est aussi une génération qui a tendance à se replier dans sa sphère privée. Ces différents phénomènes ont tendance à développer un souhait plus important de stabilité au niveau du parcours professionnel. C’est une vraie surprise car on avait l’habitude, dès qu’on parlait des jeunes, d’une génération qui aimait bouger, multiplier les expériences et changer d’entreprise.

Aujourd’hui, on est plutôt face à une génération en manque de repères et pour qui l’entreprise apparaît comme l’un des derniers lieux auquel on peut se raccrocher, avec la famille. C’est quelque chose qu’on voit dans d’autres études à l’échelle de la société. Quand on demande aux Français quelles sont les institutions qui génèrent le plus de confiance à leurs yeux, les PME arrivent en troisième position. Bien loin devant d’autres institutions comme les structures politiques. D’une certaine manière, la crise a redoré le blason de l’entreprise.

D’ailleurs, d’après l’étude, l’entreprise locale apparaît comme le modèle idéal. 

J. P. : Oui, d’une part, ce plébiscite de l’entreprise locale met en lumière la grande faiblesse des entreprises du CAC 40 qui ne suscitent plus l’adhésion, l’attractivité et la curiosité qu’elles pouvaient avoir auparavant. Seulement 13% des jeunes considèrent que les entreprises du CAC 40 sont le modèle idéal pour eux. À l’échelle de la société française, le taux de confiance envers les grandes entreprises privées ou publiques ne dépasse pas 50%. Contre 80% pour les PME. L’entreprise locale est souvent considérée comme à taille humaine et c’est quelque chose que les jeunes recherchent. D’autre part, quand on parle d’entreprise locale, on entend aussi un territoire et un écosystème. Ce modèle bénéficie donc de la tendance au localisme accélérée par la crise.

Le premier emploi reste une étape clé pour les jeunes. À la lecture de l’étude, on ressent du pessimisme par rapport au sujet. Est-ce quelque chose de particulier à cette génération ?

J. P. : Je ne dirais pas pessimiste, mais plutôt pragmatique. Ça apparaît très clairement dans l’étude : pour les jeunes, l’objectif principal du premier emploi est subvenir à ses besoins. C’est très pragmatique. Ce pragmatisme se retrouve aussi dans la façon dont ils construisent leur stratégie vers le premier emploi. Dans l’enquête, on voit à quel point le CV est quelque chose de fondamental et central dans la société française quand on veut avoir un job. Le CV structure l’intégralité de leur stratégie, de leurs choix de stages et de premier job. Tout est pensé en permanence pour gonfler le CV.. Cette idée que tout doit servir à étoffer le CV indique une forme de pragmatisme vis-à-vis du fonctionnement de la société française qui donne, à mon sens, une place beaucoup trop importante au CV qui serait la preuve ultime de la qualité de l’individu que vous êtes.

Est-ce quelque chose qui est partagé uniformément par les jeunes ?

J. P. : Tout à fait. On est dans une société qui laisse peu de place à l’échec et qui en a une vision très pessimiste et négative. En France, on montre assez vite à la jeune génération qu’elle n’a pas le droit à l’erreur lorsqu’elle pense sa formation parce que ça trace l’intégralité de sa vie. C’est une spécificité française par rapport au marché de l’emploi. Il n’y a pas de différences territoriales ou sociales sur ce sujet.

Impossible de parler du rapport des jeunes à l’entreprise, sans évoquer le rôle du manager. Qui est le manager idéal pour les jeunes d’aujourd’hui ?

J.P. : Quand on interroge les jeunes sur la carte d’identité du manager idéal aujourd’hui, on retrouve surtout des qualités humaines. Mais ces qualités doivent être mises en lien avec le travail. Quand on leur pose la question, leur première réponse est « un manager qui crée un environnement de travail épanouissant. » Ensuite, c’est « un manager qui reconnaît le travail accompli. » Ce sont des critères qui arrivent largement avant le manager qui encourage ou qui est exemplaire. Le manager idéal est donc celui qui fait en sorte qu’on puisse travailler correctement et qui fait qu’on puisse être reconnu dans notre travail. On a beaucoup insisté au cours des dernières années sur la figure du manager “bienveillant”, à l’écoute, capable de discuter et de prendre en compte les différences des uns et des autres mais les jeunes parlent avant tout de travail et des qualités humaines qui permettent de travailler efficacement.

Est-ce qu’il n’y aurait pas une volonté de remettre le travail au coeur de l’entreprise ?

J. P. : Exactement. Au cours des dernières années, on a trop insisté sur les concepts anglo-saxons type Chief Happiness Officer ou l’aspect ludique du travail. On a eu tendance à faire disparaître le travail de l’espace professionnel. Ce que les jeunes demandent aujourd’hui c’est qu’on reparle du travail, des conditions de travail, des responsabilités, des tâches et que les à côtés restent secondaires dans la sphère professionnelle.



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